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La semaine du droit international privé

Affaires - International
21/09/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit international privé, la semaine du 14 septembre 2020.
Exequatur – conditions – procès équitable – juge – pouvoirs
« Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 janvier 2019), la société américaine The Paragon Collection (la société Paragon), ayant pour activité la distribution de logiciels informatiques, a conclu, le 2 avril 1996, avec la société française Extended Software XT Soft (la société XT Soft), société de conseil en informatique, un contrat de licence portant sur la commercialisation et la distribution de produits informatiques. A la suite d'un différend portant sur le montant des redevances, la société Paragon a, en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat, assigné la société XT Soft devant la Cour de district de Californie (Etats-Unis d'Amérique) en responsabilité et paiement de diverses sommes. Par une ordonnance et un jugement du 22 septembre 2014, la juridiction américaine a condamné la société XT Soft à payer une somme de 502 391,15 dollars américains. Après avoir procédé, le 10 mars 2016, à une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la débitrice, la société Paragon l'a assignée, le 16 mars 2016, devant le tribunal de grande instance de Pontoise en exequatur des décisions américaines. En cours d'instance, la société XT Soft a, par jugement du 26 mars 2018, été placée en liquidation judiciaire, la société de Keating étant désignée en qualité de liquidateur.
 
Vu l'article 509 du Code de procédure civile et les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
Pour accorder l'exequatur, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude.
Pour rejeter la demande d'exequatur, l'arrêt relève, d'abord, que l'ordre public international français impose que la loi du for ouvre les recours indispensables contre le jugement de première instance, spécialement lorsqu'il a été rendu par défaut. Il constate, ensuite, que la loi californienne ouvre un délai de recours d'un an, qui court du prononcé du jugement, sans prévoir l'exigence d'un acte de signification. Il retient, enfin, que cette voie de recours ne pouvant être exercée par le défendeur défaillant que si celui-ci a eu connaissance de la décision par la notification qui lui a été faite, l'absence d'exigence légale d'une notification en bonne et due forme alliée à la circonstance que le délai de recours court dès le prononcé de la décision est de nature à priver le défendeur de tout recours effectif et que cette absence de garantie procédurale contrevient aux droits à un procès équitable et à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la connaissance par la société XT Soft de l’assignation et de l’instance devant la juridiction californienne ne démontrait pas que ses droits au procès équitable et au recours effectif, au sens des articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avaient été respectés, nonobstant l’absence de notification des décisions rendues, dès lors qu’elle disposait d’un délai d’un an à compter de la décision pour former un recours, ce dont il résultait qu’au regard des circonstances de l’espèce, les décisions américaines pouvaient ne pas révéler d’atteinte à l’ordre public international de procédure, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
 
Vu l'article 509 du Code de procédure civile :
Le juge de l'exequatur, dont les pouvoirs se limitent à la vérification des conditions de l'exequatur, ne peut connaître d'une demande reconventionnelle en responsabilité fondée sur une faute qui n'a pas été commise au cours de l'instance dont il est saisi.
Pour retenir la responsabilité de la société Paragon, l'arrêt relève que la signification des décisions de condamnation américaines après expiration du délai de recours caractérise une déloyauté procédurale fautive, cette manœuvre ayant permis la saisie conservatoire du compte bancaire de la société XT Soft qui présentait, à la date de la saisie, un solde créditeur.
En statuant ainsi, alors que la faute imputée à la société Paragon était étrangère à la procédure d'exequatur, la cour d'appel a violé le texte susvisé »
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Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 19-11.621, P+B * 
 
Décisions – certificat de reconnaissance – contestation
« Selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-13.837), et les productions, le 28 avril 1998, M. X a acquis les actions de la société anonyme Villa Gal (la SAVG) pour un prix de 80 millions de francs. Les 8 juin et 3 juillet 1998, la SAVG a reconnu avoir emprunté à la société Oakland Finance une somme de 50 millions de francs. Par acte du 23 août 2000, cette somme a été portée à 60 millions. Deux hypothèques conventionnelles ont été prises en garantie les 22 juillet 1998 et 8 septembre 2000 par la société Oakland Finance sur l'immeuble de la SAVG. Le 17 avril 2002, la société Oakland Finance a été placée en liquidation.
Mise en demeure de payer par le liquidateur, la SAVG l'a assigné, ès qualités, devant le tribunal de grande instance de Nice pour obtenir la nullité de ces contrats et la mainlevée des hypothèques en soutenant que les prêts étaient dépourvus de cause, subsidiairement que leur cause était illicite. Y, trustee et représentant légal de la société EGA, est intervenu volontairement à l'instance.
Par jugement du 10 décembre 2007, le tribunal a rejeté ces prétentions et dit que les actes sous seing privé des 8 juin 1998 et 23 août 2000 reposaient sur une cause réelle et licite.
Entre-temps, soutenant que si les prêts litigieux étaient supposés rembourser une dette contractée par la société SAVG envers la société EGA, dette ensuite cédée à la société Oakland Finance, aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, la SAVG et M. X ont saisi la High Court of Justice of London (la High Court) qui, par une décision du 19 novembre 2010, a dit qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société Oakland Finance.
Le greffier en chef d'un tribunal de grande instance ayant déclaré exécutoire en France cette décision, Mme Z, héritière de Y, a demandé la révocation de cette déclaration.
 
Vu l'article 34, 3), du règlement CE nº 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I :
Selon l'article 33 point 1) de ce règlement, les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L'article 34 de ce règlement prévoit toutefois à son 3) qu'une décision n'est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis. Statuant sur l'article 27.3° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dont les termes sont identiques à ceux de l'article 34, 3), la Cour de justice des Communautés européennes a précisé qu'afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de ce texte, il convenait de rechercher si les décisions en cause entraînaient des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement (CJCE Hoffmann c. Krieg 4 février 1988 C 145/86, point 22).
Pour rejeter la contestation du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court du 19 novembre 2010, confirmer la reconnaissance en France de cette décision et dire qu'en conséquence ce jugement produira en France tous ses effets, après avoir énoncé que deux décisions sont inconciliables si elles sont incompatibles dans leur exécution, l'arrêt retient que le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire, engagement réel soumis aux juridictions françaises, et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement, de sorte que les demandes n'avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s'excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne se sont pas prononcées sur les mêmes questions et leur exécution simultanée est possible.
En statuant ainsi, alors que le jugement de la High Court du 19 novembre 2010, qui, après avoir retenu qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, a considéré qu'aucune créance n'avait pu valablement naître de l'engagement litigieux, entraînait des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement avec celles du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007 rejetant la demande en nullité de ce même engagement formée par la SAVG, laquelle soutenait que celui-ci était dépourvu de cause dès lors que la dette de la société EGA, supposée le fonder, avait été intégralement réglée avant la cession des actions, de sorte que ces décisions étaient inconciliables, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-20.023, P+B * 
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 21 octobre 2020
 
 
Source : Actualités du droit