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Rail-route France / Italie : « c’est l’annus horribilis pour le combiné »

Transport - Fer
17/11/2023
Selon Jean-Claude Brunier, le PDG du groupe Open Modal, la route assure maintenant l’essentiel du trafic ferroviaire transalpin « Marchandises ». À la suite de l’éboulement survenu en vallée de la Maurienne fin août, le plan de transport de l’une de ses filiales, T3M, opérateur de transport combiné entre la France et l’Italie, a été revu avec un itinéraire alternatif via la Suisse. Outre une réduction de moitié des rotations, le dirigeant anticipe une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 15 % en 2023.
Bulletin des transports : Vous avez dû réagir promptement à l’éboulement du 27 août qui a interrompu le trafic ferroviaire de marchandises entre la France et l’Italie. Quel modus operandi avez-vous instauré pour T3M (1) ?
Jean-Claude Brunier : Nous avons été choqués dans un premier temps comme tous les opérateurs après l’éboulement. Nous avons aussitôt arrêté nos trains avec la filiale T3M ; nos clients transporteurs et logisticiens ont repris la route et nous les avons accompagnés en organisant avec eux la traction routière sur longue distance. Assez rapidement, nous avons pu mettre en place un service au bout de trois semaines : il s’agit d’un itinéraire alternatif entre Bonneuil-sur-Marne et Novara, dans le Piémont, lequel passe par Kiel, en suivant la vallée du Rhin jusqu’à Bâle, traverse Domodossola pour rejoindre notre terminal ferroviaire italien. Avant l’éboulement, le plan de transport par le tunnel de Modane conservait un rythme jour A/jour B. Le nouveau plan de transport s’appuie sur un rythme jour A/jour C. Nos clients chargeurs ont apprécié la  mise en service réactive de cet itinéraire alternatif. Seul bémol, alors que nous avions un aller-retour quotidien, cinq jours par semaine, sur la liaison Bonneuil-Novara via le tunnel de Modane, nous sommes malheureusement redescendus à deux rotations par semaine, compte tenu des capacités de sillons. Si tout fonctionne comme nous le souhaitons, nous pensons remonter à trois rotations par semaine début janvier 2024.

BTL : Près de trois mois après l’éboulement, quel est votre sentiment au regard des perspectives avancées par l’État ?  
J-C. B. : Ces perspectives ne sont pas très claires et on ne sait pas très bien ce qu’il faut en penser. C’est la raison pour laquelle au sein du Groupement national des transports combinés (GNTC), nous avons créé un petit groupe de travail, lequel réunit les adhérents impactés par cet éboulement, soit Open Modal, Novatrans, et le groupe Ambrogio. Nous travaillons le dossier en collaboration avec l’Alliance Fret Ferroviaire Français du Futur (4F), dont le GNTC est membre.  Les contacts avec la Direction générale des infrastructures (DGITM) et le cabinet du ministre Clément Beaune sont noués grâce à nos organisations professionnelles, nous n’avons pas de délégation sur le terrain.
Côté italien, les réactions sont assez vives, nos voisins transalpins s’étonnent que la France ne soit pas plus allante sur ce dossier. On ne peut rien reprocher à SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure, parce qu’il n’est pas directement à la manœuvre. C’est l’État, par l’intermédiaire du préfet de région, qui pilote les choses, en lien direct avec la DGITM. Reste que l’on ne sait pas très bien si cela sera rapide ou non. Les informations sont parfois contradictoires et entretiennent un certain flou. Nous sommes pragmatiques et nous regardons ce qui va se passer. N’oublions pas que la pertinence du transport combiné pour le passage des Alpes est incontestable, au regard de la qualité de service et de la rapidité.

BTL : Qu’en est-il du préjudice économique subi par l’entreprise ?
J-C. B. : Nous sommes en train d’évaluer l’impact économique de l’éboulement dans le cadre du groupe de travail constitué au sein du GNTC. Grosso modo, nous sommes passés de cinq rotations à deux rotations par semaine chez T3M. Tout va dépendre de la méthode de calcul retenue, des charges fixes, etc. Seule certitude, les trains sont plutôt complets depuis la mise en place de l’itinéraire alternatif via la Suisse.

BTL : Où sont passées, selon vous, les marchandises qui transitaient par la Maurienne ?
J-C. B. : D’après les chiffres de SNCF Réseau, 150 trains de fret par semaine ne peuvent plus circuler, dont au moins un tiers dédié au combiné rail-route. À l’évidence, le report modal des marchandises se fait sur la route notamment par Vintimille, même si cela me paraît très compliqué pour les conducteurs routiers.

BTL : Au fond, êtes-vous de l’avis de Jacques Gounon (2) qui plébiscite une accélération des travaux du Lyon-Turin ?
J-C. B. :
Jacques Gounon a raison. Il faut achever la réalisation des travaux du Lyon-Turin sans oublier aussi qu’il s’agit d’une politique entre deux États membres et l’Union européenne. Il est évident que cette infrastructure aurait permis de réagir plus vite  face à l’éboulement  voir de l’aplanir complètement. C’est l’annus horribilis pour le combiné : notre secteur a tout vécu, des grèves liées à la réforme des retraites au premier trimestre à la hausse des coûts de l’énergie et des taux d’intérêt en passant par l’éboulement dommageable du 27 août. La baisse du trafic rail-route au premier semestre affiche -22 %, nous devrions atteindre un recul du trafic de 17 % au second semestre 2023. Pour T3M, nous anticipons une baisse du chiffre d’affaires de 15 % sur un volume d’affaires prévisionnel supérieur à 50 M€.  Malheureusement, certaines sociétés risquent de rester au bord de la route. C’est l’annus horribilis et en même temps, le secteur du combiné possède toutes les solutions opérationnelles et pertinentes pour décarboner le transport terrestre.

(1) Le groupe Open Modal est composé de 4 sociétés filiales : T3M (opérateur de transport combiné) ; TAB Rail Road (transport routier), Combirail (entreprise ferroviaire) et BTM (opérateur de terminaux).
(2) Jacques Gounon est le président de l’association baptisée « la Transalpine », qui assure la promotion en France du projet Lyon-Turin.

Propos recueillis par Louis Guarino
Paru au Bulletin des Transports et de la Logistique (n° 3949, 20 novembre 2023).
Source : Actualités du droit