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Un fonctionnaire peut être révoqué pour des faits antérieurs à sa nomination

Public - Droit public général
10/05/2023
Dans un arrêt du 3 mai 2023 publié au recueil Lebon, le Conseil d’État a déclaré que l’administration pouvait engager une procédure disciplinaire et révoquer un fonctionnaire pour des faits antérieurs à son entrée dans la fonction publique. Le juge devra toutefois s’assurer que les faits révèlent une véritable incompatibilité avec le maintien de l’agent dans la fonction publique.
Dans cette affaire, un fonctionnaire du département de la Seine-Saint-Denis a été révoqué après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département. L’agent a obtenu l’annulation de sa révocation par le tribunal administratif, avant une annulation du jugement par la cour administrative d’appel. Il se pourvoit en cassation en vue de l’annulation de la révocation et de sa réintégration.
 
Faits antérieurs à la nomination du fonctionnaire
 
Dans son arrêt du 3 mai 2023 (CE, 3 mai 2023, n° 438248, Lebon), le Conseil d’État déclare qu’un agent peut bien être condamné à une sanction disciplinaire pour des faits antérieurs à sa nomination, s’ils ont été connus ultérieurement par l’administration : « Lorsque l'administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l'intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire ».
 
Il convient toutefois de s’assurer que ces faits révèlent une incompatibilité « par leur nature ». Cette incompatibilité doit être avérée, ce qui peut se révéler difficile s’agissant de faits antérieurs à l’entrée de l’agent dans la fonction publique.

En l’espèce, le Conseil relève que la révocation du fonctionnaire est fondée sur :
 
  • d'une part, des « antécédents judiciaires, regardés comme incompatibles avec l'exercice par l'intéressé de ses fonctions » ;
  • d'autre part, « la consultation à trois reprises, en mars et avril 2014, d'un dossier ne relevant pas de son champ d'intervention et relatif au bénéfice de prestations sociales dont a frauduleusement bénéficié une de ses connaissances ».
 
Incompatibilité avec l’exercice des fonctions
 
Pour le second élément, il ressort du dossier que la révocation aurait eu lieu même sans cet élément. Le Conseil contrôle donc le premier élément et déclare que la CAA n’a pas suffisamment motivé sa décision « en se bornant à relever l'existence d'antécédents judiciaires (…) sans caractériser les faits à l'origine des condamnations de ce dernier et sans apprécier si ces faits, compte tenu de leur nature et de leur ancienneté, étaient de nature à conduire à la révocation de l'intéressé ».
 
La Haute cour règle l’affaire au fond et juge que les antécédents judiciaires de l’agent ne sont pas incompatibles avec l’exercice de ses fonctions. Le fonctionnaire, recruté en 2012, avait été condamné en 2008 pour un « vol avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis au préjudice d'un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis », puis en 2012 « pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s'y présentant avec une pièce d'identité qui n'était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende ».
 
Le Conseil note que ces condamnations ont donné lieu « pour la seconde, à une dispense d'inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions ».
 
Il considère que ces faits n’affectent pas le bon fonctionnement ou la réputation du service et ne justifient pas la révocation du fonctionnaire, compte tenu :
  • de leur ancienneté,
  • de leur nature,
  • du fait que l’autorité judiciaire ait retenu « en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n° 2 du casier judiciaire ».
L’article L. 321-1, 3° du CGFP, qui remplace l’article 5, 3° du titre I du statut général prévoit que « nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire (…) Le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l'exercice des fonctions ».
 
Le Conseil d’État vient ici confirmer une jurisprudence ancienne, par laquelle il avait posé qu’un fonctionnaire pouvait être révoqué pour des faits antérieurs à sa nomination au sein de la fonction publique (CE, sect., 5 déc. 1930, n° 3130, Sieur Sarrail, Lebon ; CE, sect. 28 janv. 1938, n° 50797, Sieur Lapeyrade, Lebon).
Source : Actualités du droit