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Subventions étrangères : le juge de l’UE renforce le contrôle européen sur les importations et les investissements

Affaires - International
28/04/2023
Consacrant une interprétation particulièrement large de la notion de « pouvoirs publics » en matière de subventions étrangères sur les importations, deux arrêts sensibles du Tribunal de l’Union européenne du 1er mars 2023 permettent à la Commission européenne de sanctionner des subventions prises, non pas par le pays d’origine ou d’exportation des produits importés, mais par celui des actionnaires des sociétés concernées. Présentation par Maîtres Jean-Marie SALVA & Dimana TODOROVA du cabinet DS Avocats Bruxelles.
Au moment où l’Union européenne est en train de se doter d’une nouvelle règlementation en matière de subventions étrangères, la solution retenue par le Tribunal de l’Union européenne étend le pouvoir de sanction de l’UE, cette fois-ci sous l’angle des instruments de défense commerciale. En effet, dans deux arrêts audacieux du 1er mars 2023, cette juridiction vise clairement à renforcer le contrôle européen sur les subventions étrangères déloyales en matière commerciale.
 
Difficile de ne pas faire un rapprochement au moins chronologique avec le règlement relatif aux subventions étrangères qui entre en vigueur le 12 juillet prochain et qui vise quant à lui les investissements étrangers. La stratégie européenne semble être de prendre en tenailles les subventions étrangères et notamment chinoises abondamment utilisées dans le cadre de la Nouvelle route de la soie…
 
L’UE dispose donc désormais de deux outils de rétorsion des subventions étrangères déloyales : le règlement 2016/1037 issu des accords OMC bien connu et utilisé de plus en plus par l’Union, mais auquel le Tribunal vient de décider de donner une portée toute nouvelle, et le règlement 2022/2560 qui entre en application le 12 juillet prochain. Pour mémoire, à l’instar du contrôle des aides d’État au niveau européen, le règlement 2016/1037 vise à rétablir une concurrence équitable avec les pays tiers à l’Union en appliquant un droit compensateur pour éliminer les effets préjudiciables des importations subventionnées d’un produit étranger sur les producteurs de l’Union de produits similaires.
 
Extension du contrôle européen sur les subventions étrangères déloyales
 
Les deux décisions du Tribunal de l’UE apportent pour la première fois des précisions importantes quant à l’imputabilité des subventions étrangères sur un produit visé par des mesures compensatoires.

En l’espèce, les sociétés Hengshi et Jushi, toutes deux de droit égyptien, produisent et exportent des tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues (« TVF ») vers l’UE. Leurs actionnaires sont chinois. Les sociétés sont situées dans la zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne (« zone CECS ») créée dans le cadre du plan de développement du corridor du canal de Suez entre la Chine et l’Égypte. À ce titre, elles bénéficient des avantages, notamment financiers, octroyés par les pouvoirs publics chinois aux entreprises chinoises de cette zone.

À la suite d’une une première plainte du 1er avril 2019, la Commission européenne a décidé d’adopter des droits compensateurs sur les importations des TVF originaires de Chine et d’Égypte. À la suite d’une seconde plainte déposée le 24 avril 2019, la Commission a adopté des droits compensateurs sur les importations des produits de fibre de verre à filament continu (« SFV »), matière première principale des TVF, originaires d’Égypte.

Les deux sociétés ont introduit des recours en annulation considérant qu’une subvention est réputée exister, au sens de la règlementation européenne, s’il y a une contribution financière des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation. Elles estimaient que, les produits visés par les règlements de la Commission étant originaires et exportés depuis l’Égypte et les contributions financières étant octroyées par les pouvoirs publics chinois, l’Égypte ne pouvait pas faire l’objet des droits compensateurs imposés en raison des contributions financières chinoises à l’origine des subventions.

Par ses arrêts, le Tribunal rejette les demandes en annulation des sociétés égyptiennes en consacrant une interprétation particulièrement large de la notion de « pouvoirs publics » en matière de subventions et en permettant ainsi à la Commission de sanctionner des subventions prises non pas par le pays d’origine ou d’exportation des produits importés (ici l’Égypte), mais par celui des actionnaires des sociétés concernées (ici la Chine).  
Le Tribunal constate en effet que les contributions financières à l’origine des subventions peuvent soit être édictées par un organisme public, soit être imputables à cet organisme sans même qu’il en soit directement à l’origine et que rien n’exclut d’imputer aux pouvoirs publics égyptiens des contributions financières octroyées par les pouvoirs publics chinois.

Reste à savoir si cette interprétation extensive et protectionniste fera jurisprudence, notamment à l’égard de certains pays africains, eux aussi placés sur la Nouvelle route de la soie, et bénéficiant à ce titre de subventions chinoises…
 
Remarques
Les deux arrêts peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de justice dans un délai de deux mois et dix jours à compter de leur notification.
 
Source : Actualités du droit