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Retrait de l’aide juridictionnelle : caractère abusif de la requête et respect du contradictoire

Public - Droit public général
11/05/2022
Dans un arrêt du 5 mai 2022, le Conseil d’État a rappelé qu’en cas de présentation par le requérant de deux requêtes distinctes portant sur le même objet, la double demande d’aide juridictionnelle ne conférait pas à la requête un caractère abusif. Il a également déclaré que le retrait de l’aide juridictionnelle traduisait la mise en œuvre d’un pouvoir propre du juge, qui, lorsqu’il en fait usage, ne soulève pas un moyen d’ordre public, et a ainsi écarté l’obligation de respect du contradictoire.
Dans cette affaire, le requérant souhaitait obtenir le renouvellement de son certificat de résidence, et s’était vu opposer un refus du préfet par une décision du 12 août 2016. Il avait ensuite présenté un recours gracieux, rejeté par une décision du 15 décembre 2016. Le requérant a alors présenté deux requêtes distinctes contre ces deux décisions auprès du tribunal administratif et a vu ses demandes et l'octroi de l'aide juridictionnel rejetés. Il saisit le Conseil d’État en vue d’obtenir le bénéfice de l’aide juridictionnelle, refusée en appel.
 
La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle prévoit à son article 38 que « la contribution versée par l'État est réduite, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, lorsqu'un avocat [...] est chargé d'une série d'affaires présentant à juger des questions semblables ». L’article 50 prévoit le retrait de l’aide « lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive ».
 
L’article 51, dans sa version alors applicable, précise que : « Le retrait de l'aide juridictionnelle peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d'office. / [...] Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l'aide juridictionnelle ».
 
Absence de communication du moyen soulevé
 
Pour le Conseil, il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 que « le juge doit, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, prononcer le retrait total de l'aide juridictionnelle accordée pour une requête lorsqu'il juge celle-ci abusive ou dilatoire. Lorsqu'il est prononcé d'office, un tel retrait traduit la mise en œuvre d'un pouvoir propre du juge qui, lorsqu'il en fait usage, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public et n'est en conséquence pas de tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ».
 
Le Conseil ajoute dans son arrêt (CE, 5 mai 2022, n° 455860) qu’il résulte des mêmes dispositions que « lorsqu'un ou plusieurs bénéficiaires de l'aide juridictionnelle présentent, dans une ou plusieurs instances, les mêmes conclusions en demande ou en défense conduisant le juge à trancher des questions identiques, l'avocat les représentant au titre de l'aide juridictionnelle réalise à leur égard une seule et même mission ». Le Conseil avait s'était prononcé dans le même sens dans un avis rendu en 2017 (CE, avis, 18 janv. 2017, n° 398918, Lebon) sans toutefois préciser si le retrait de l'aide juridictionnelle constituait un moyen d’ordre public. C’est donc dans cet arrêt du 5 mai 2022, qu’il ajoute que le moyen n’est pas d’ordre public, et que le juge « n'est en conséquence pas de tenu de procéder à la communication prescrite par l'article R. 611-7 du code de justice administrative ».
 
L’absence d’obligation pour le juge de communiquer son intention de retirer l’aide juridictionnelle peut poser des difficultés au regard du respect du contradictoire. Dans ses conclusions, la rapporteure Mireille Le Corre a rappelé qu’aucun texte n’imposait expressément le respect du contradictoire en cas de retrait de l’aide pour procédure dilatoire ou abusive et relevé « que les jugements et arrêts faisant état de retrait de l’aide juridictionnelle ne font pas état de la mise en œuvre d’une procédure contradictoire dans l’immense majorité des cas ». Elle écarte finalement cette obligation en indiquant : « La garantie pour les requérants réside, selon nous, davantage dans le contrôle de l’appréciation du caractère abusif, que dans l’instauration d’une procédure contradictoire ».
 
Contrôle du caractère abusif de la requête
 
La Haute cour a ici suivi l’argumentation de la rapporteure et écarté l’obligation de communication prévue par l’article R. 611-7 du CJA.
 
Le Conseil contrôle la qualification de recours abusif ou dilatoire, et l’écarte dans cette affaire. En l’espèce, le requérant avait bénéficié de l’aide juridictionnelle pour chacune des deux requêtes, qui « comportaient une argumentation similaire et des conclusions à fin d’injonction identiques », et la cour administrative d’appel en avait conclu que la requête revêtait un caractère abusif et avait pour ce motif prononcé le retrait de l’aide juridictionnelle.
 
Le Conseil d’État déclare que la cour a ainsi commis une erreur de droit, considérant que la présentation de deux requêtes ne doit conduire au versement de l’aide juridictionnelle qu’une seule fois, mais ne peut en aucun cas entraîner la qualification de recours abusif.
Source : Actualités du droit