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Antidumping : évaluation cumulative des effets des importations et caractère « négligeable »

Affaires - International
09/03/2022
La condition selon laquelle « le volume des importations en provenance de chaque pays n'est pas négligeable » de l’article 3, § 4, du règlement 2016/1036, qui permet une évaluation cumulative des effets des importations, ne signifie pas que les importations en provenance d'un pays représentant une part de marché supérieure à 1 %, au sens de l’article 5, § 7, du même texte, ne puissent pas être considérées comme négligeables, selon un arrêt confirmatif de la CJUE du 24 février 2022.
Selon l’article article 3, § 4, du règlement (UE) 2016/1036 du 8 juin 2016 (JOUE 30 juin, no L 176) relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne (dit règlement de base antidumping), en cas de pluralité de pays visés par une enquête antidumping, il est possible d'effectuer une évaluation cumulative des effets des importations. Cet article 3, § 4, prévoit trois conditions cumulatives et notamment, s’agissant de l’arrêt ici rapporté, celle selon laquelle « le volume des importations en provenance de chaque pays n'est pas négligeable ».
 
S’agissant de cette condition, il a déjà été jugé par le Tribunal de l’Union européenne :  
Ce dernier arrêt a fait l’objet d’un pourvoi devant la CJUE qui confirme la solution retenue par le Tribunal.
 
Complémentarité des articles 3, § 4, et 5, § 7 ?
 
Pour remettre en cause le point 67 de l'arrêt ci-dessus, le requérant, parmi ses moyens, invoque en substance notamment une erreur de droit, en ce que le Tribunal a interprété l’article 3, § 4, en ce sens que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation pour considérer que des importations représentant une part de marché supérieure à 1 % sont « négligeables », alors que, au contraire selon lui, la « relation de complémentarité » existant entre l’article 3, § 4 (et donc la condition selon laquelle « le volume des importations en provenance de chaque pays n'est pas négligeable »), et l’article 5, § 7, impliquerait d’appliquer le seuil de 1 %, prévu par ce dernier, en tant que seuil contraignant aux fins de l’appréciation du caractère « négligeable » du volume des importations. Le requérant ajoute encore que l’absence de renvoi explicite de l’article 3, § 4, à l’article 5, § 7, ne signifierait pas que ces dispositions ne peuvent pas être lues conjointement. Enfin, il conforte son argumentation par le fait qu’à défaut de considérer l’article 5, § 7, comme fixant un seuil contraignant, cela risquerait d’entraîner une insécurité juridique.
 
Absence de renvoi, finalités différentes et pourvoir large pouvoir d’appréciation des institutions en matière d’antidumping
 
La décision du 24 février 2022 de la Cour de justice rejette chacun des arguments et, s’agissant du point 67 de la décision de 2020, retient elle aussi que l’article 5, § 7, peut apporter des orientations en ce qui concerne le volume négligeable des importations, sans qu’il puisse pour autant en être inféré que, dans le cadre de l’article 3, § 4, les importations en provenance du pays en cause, représentant une part de marché supérieure à 1 %, ne puissent pas être considérées comme négligeables (point 58).
 
D’abord, pour la CJUE, l’article 3, § 4, n’opère aucun renvoi et exige seulement que le volume des importations en provenance de chaque pays ne soit pas « négligeable », sans définir précisément ce terme et, en l’absence d’un renvoi exprès au seuil de 1 %, prévu à l’article 5, § 7, le législateur de l’Union n’a pas exigé que le caractère négligeable des importations, aux fins de la seconde condition prévue à l’article 3, § 4, s’apprécie, de manière impérative, au regard de ce seuil (points 47 et s.).
 
Ensuite, les deux articles poursuivent des finalités différentes dans le cadre de la procédure prévue par le règlement de 2016 : l’article 5, § 7, vise une phase préalable à l’ouverture de l’enquête, alors que l’article 3, § 4, concerne les importations qui font déjà l’objet d’une enquête, entamée par la Commission à la suite de l’ouverture de la procédure. Il en résulte, comme l’avocat général l’a relevé, que, s’il ne saurait être exclu que le seuil de 1 % prévu à l’article 5, § 7, puisse être pris en compte comme un seuil indicatif pour examiner l’absence de caractère « négligeable » du volume des importations visé à l’article 3, § 4, ce seuil ne saurait toutefois constituer un seuil impératif, dont le dépassement nécessite de considérer que le volume des importations provenant d’un pays tiers particulier « n’est pas négligeable », au sens de cette dernière disposition (points 50 et s.).
 
Enfin, l’interprétation de l’article 3, § 4, retenue par le Tribunal est conforme au large pouvoir d’appréciation reconnu aux institutions de l’Union par la jurisprudence de la Cour, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale. Et, là aussi comme l’indique l’avocat général, si le seuil de 1 % prévu à l’article 5, § 7, est susceptible de constituer une indication que le juge de l’Union peut prendre en compte aux fins d’exercer le contrôle des appréciations effectuées par la Commission, dans le cadre de l’article 3, § 4, ce seuil ne saurait constituer un seuil impératif au-delà duquel la Commission serait dans l’impossibilité de conclure, en toutes circonstances, que les importations faisant l’objet de l’enquête antidumping en provenance d’un pays sont négligeables. Une telle interprétation de l’article 3, § 4, priverait au contraire cette institution du pouvoir d’appréciation que lui confère cette disposition pour apprécier le caractère négligeable des importations, aux fins d’une évaluation cumulative des importations d’un produit en provenance de plusieurs pays faisant simultanément l’objet d’enquêtes antidumping (points 55 et s.).
 
Les arguments tirés du fait que l'interprétation du tribunal contreviendrait au principe de sécurité juridique sont également rejetés par la CJUE, en raison d’une part de la finalité différente précitée des deux articles et d’autre part de la privation d’effet utile qu’elle aurait de l’article 4, § 3, dans la mesure où, conformément à l’article 5, § 7, une procédure n’est, en principe, pas ouverte à l’égard des pays dont les importations représentent une part de marché inférieure à 1 %.
 
Remarques
Dans sa décision du 12 mars 2020 (point 51), le tribunal retient aussi que, l’évaluation cumulative obéissant à trois conditions, il suffit que l'une d'entre elles ne soit pas remplie pour qu'une évaluation cumulative soit exclue, ce que la CJUE confirme aussi dans les mêmes termes au point 45 de son arrêt.
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy contrats internationaux, voir n° 332-60. La décision ici exposée est intégrée à ce numéro sous la forme d’une note de l’éditeur dans la version en ligne de cet ouvrage dans les 48 heures au plus tard à compter de la publication de la présente actualité.
 
Source : Actualités du droit