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Devoir de vigilance des grandes entreprises : le tribunal judiciaire de Paris seul compétent

Environnement & qualité - Environnement
06/01/2022
À la suite d’hésitations jurisprudentielles relatives à la détermination de la compétence juridictionnelle pour les litiges relatifs au « devoir de vigilance » des grandes entreprises, le législateur a attribué au tribunal judiciaire de Paris l’ensemble de ce contentieux par l’article 56 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
Aux termes de l’article L. 225-102-4 code de commerce tel que modifié par l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017, « Toute société qui emploie…au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. ». Ce plan de vigilance doit permettre d’« identifier les risques et (…) prévenir les atteintes graves [résultant des activités des sociétés concernées ainsi que de leurs filiales] envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ». Par ailleurs, le même article prévoit un mécanisme de mise en demeure et d’injonction à agir ouvert à toute personne disposant d’un intérêt à agir, sans préciser toutefois la juridiction compétente.
 
En application de ces dispositions, le 29 octobre 2019, des associations avaient assigné Total SA devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d’injonction à agir, pour obtenir le respect, par cette société, de ses obligations en matière de vigilance. Or, par ordonnance en date du 30 janvier 2020, le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé s’était déclaré incompétent et avait renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre (TJ Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2020, no 19/02833). Cette analyse, confirmée par la Cour de Versailles , a été infirmée par ordonnance du 11 février 2021 du juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Versailles à l’occasion d’une autre action judiciaire (CA Versailles, 10 déc. 2020, nos 20/01692 et 20/01693 ; TJ Nanterreord. JME, 11 févr. 2021, no 20/00915).

Par un arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation a tranché en faveur des associations en cassant les arrêts de la Cour d’appel de Versailles (Cass. com., 15 déc. 2021 , nos 21-11.957, 21-11.882, 21-11.959 et 21-11.883). La Cour a en effet considéré que le plan vigilance, bien qu’en lien direct avec la gestion de la société, n’est pas un acte de commerce au sens du 3° de l’article L. 721-3 du code de commerce. En conséquence, les demanderesses non commerçantes disposaient d’un droit d’option leur permettant de choisir de présenter leur action devant les juridictions judiciaires plutôt que commerciales.
 
Finalement, par l’article 56 de la loi no 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, le législateur a mis un terme à ces débats pour attribuer l’ensemble du contentieux en matière de vigilance au tribunal judiciaire de Paris, par l’ajout d’un article L. 211-21 au code de l’organisation judiciaire. Cette attribution concerne tant le mécanisme de mise en demeure et d’injonction à agir prévu par l’article L. 225-102-4 du code de commerce que l’action en responsabilité fondée sur la méconnaissance des obligations en matière de vigilance prévue par l’article L. 225-102-5 du même code. Outre une meilleure administration de la justice, cette attribution de compétence permet, d’après le rapport parlementaire nos 4146 et 4147, de clarifier "le contenu matériel du devoir vigilance, qui vise à prévenir les atteintes envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes ainsi que l’environnement" et ne peut donc être restreint à la gestion d’une société (Rap. AN, nos4146 et 4147, 7 mai 2021). 
Source : Actualités du droit