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La semaine du droit de l'urbanisme

Public - Urbanisme
14/12/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit de l'urbanisme, la semaine du 7 décembre 2020.

Permis de construire – extension – destination finale
« Entre 2005 et 2014, plusieurs procès-verbaux d’infractions ont été dressés à l’encontre de la SCI Lou Joy, devenue SCI Fourseasonsgroup, la SCEA Lou Joy et M. X concernant de nombreux travaux effectués sur un domaine situé à Grasse, ayant abouti à la réalisation d’un ensemble commercial destiné à l’organisation de grandes réceptions, situé en zone NA du plan d'occupation des sols de la commune n'autorisant que l'extension et l'aménagement des constructions existantes ainsi que l'extension des constructions liées à une exploitation agricole.

La SCI Fourseasonsgroup, la SCEA Lou Joy et M. X ont été poursuivis pour exécution de travaux sans permis de construire, violation du plan local d’urbanisme ou du plan d’occupation des sols, poursuite de travaux malgré plusieurs arrêtés interruptifs de travaux.
Les juges du premier degré ont déclaré les prévenus coupables , dit que le permis de construire obtenu le 18 juillet 2006 était frauduleux , que la fraude a entaché l’ensemble du projet, les a condamnés à payer diverses amendes et a ordonné la démolition de l’ensemble des ouvrages sous astreinte. Le tribunal a reçu les constitutions de partie civile de M. Y , de Mme Z, épouse Y et de Mme A et a condamné les prévenus à leur payer des dommages et intérêts.
Toutes les parties et le ministère public ont formé appel.

Pour dire que les permis de construire initial et modificatif délivrés respectivement les 18 juillet 2006 et 5 novembre 2008 revêtent un caractère frauduleux , l’arrêt attaqué retient que M. X et la SCI Lou Joy ont déposé le 5 octobre 2005, par l'intermédiaire d’un architecte, une demande de permis de construire visant à régulariser les travaux constatés dans les procès-verbaux des 18 octobre et 21 novembre 2005.
Les juges exposent que, sur la base d’une demande faisant état au titre de l'existant, d’une maison principale, dont l’agrandissement était sollicité, d'une maison de famille, le tout représentant une surface hors oeuvre brut (SHOB) et une surface hors oeuvre nette (SHON) totales respectivement de 644,46 m² et de 481,05 m² et de l’existence d’une piscine, le permis de construire délivré le 18 juillet 2006 a autorisé les pétitionnaires à porter la surface de la maison principale à une SHOB et une SHON totales respectivement de 1463 m² et de 867 m².
Les juges observent cependant que tant l’acte d’acquisition du domaine par la société Eléa en 1988, que l'acte de vente en date du 9 mars 2000 portant cession du même domaine par cette société à la société Immo-Californie, constituée par M. X, ne fait mention que d’une maison de maître et d’une maison de gardien.
Les juges relèvent que la désignation résultant de ces actes correspond au cadastre sur lequel ne figure, à proximité de la maison de gardien, que deux petits bâtiments distincts dénommés dans la procédure « bâtis légers». Ainsi, lorsque la société Immo-Californie a cédé le 7 mars 2001 aux époux Y la maison de maître et du terrain , la venderesse ne restait plus propriétaire que de la maison de gardien outre les terrains non cédés.
Les juges ajoutent que l'existence d'une deuxième maison apparaît pour la première fois dans l'acte de vente du 5 mars 2004 par la société Immo-Californie à M. X qui porte sur une maison de gardien édifiée sur deux niveaux et une maison principale édifiée sur trois niveaux avec terrain autour.

Pour écarter l’argumentation de M. X, selon laquelle cette seconde maison était préexistante à l'acquisition faite le 9 mars 2000 auprès de la SCI Eléa, que la désignation de la propriété vendue était incomplète dans les actes et que le cadastre n'avait pas été actualisé, les juges affirment que cette thèse est totalement démentie, d’une part, par les photographies aériennes IGN (Institut géographique national) qui révèlent de façon certaine qu’ en 1999 cette maison et la piscine construite à proximité étaient inexistantes, ces ouvrages n'apparaissant que sur des photographies aériennes de 2003 et 2004, d’autre part, par les déclarations de l’architecte qui a admis que dans le dossier de demande de permis de construire, « par rapport à ce qui était déclaré comme existant, ce n'était pas la réalité. J'ai moi-même été trompé par rapport aux existants. Je ne savais pas ce qui existait antérieurement, j'ai fait confiance au propriétaire ».
Les juges en déduisent que cette maison appelée «maison de famille » et la piscine, portées sur la demande de permis de construire de 2006, ont été réalisées après l'acquisition de la propriété par M. X par le biais de la société Immo-Californie sans la moindre autorisation.
Les juges en concluent qu’en faisant état dans sa demande de permis d'une superficie existante, dont une partie avait été édifiée par lui sans la moindre autorisation et de façon tout à fait irrégulière pour obtenir une autorisation d'extension dans la proportion de celle qui lui a été accordée, le pétitionnaire a usé de moyens frauduleux afin de tromper les services de l'urbanisme de la commune et d'une façon générale l'administration de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges, faisant application de l'article 111-5 du Code pénal, ont considéré que le permis de construire obtenu le 18 juillet 2006 par la SCI Lou Joy avait été obtenu frauduleusement en omettant de porter la surface de « la maison de famille » en régularisation dans le cadre de sa demande et qu'elle l'avait de plus comptabilisée comme superficie existante afin d'obtenir des droits plus importants pour régulariser les travaux entrepris sur la maison principale, et qu’ils’agissait en réalité non de l’extension d’une maison existante, mais de la réalisation d'une construction nouvelle dans la mesure où la construction ancienne apparaissait dès lors comme l'excroissance de la construction nouvelle plutôt que l'inverse .
Les juges ajoutent que la création de la SHOB supplémentaire de 955 m² pour un existant de 295 m² aboutit à la réalisation d’une construction nouvelle et non à la simple extension d’un existant qui devient l’accessoire du bâtiment créé.
Les juges en concluent que la réalisation finale de l'ensemble immobilier au sein duquel les deux immeubles ont finalement été reliés par des galeries, constitue un ensemble unique de prestige.
En l'état de ces énonciations, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions péremptoires des demandeurs, a justifié sa décision.
En premier lieu , le fait pour le pétitionnaire de solliciter un permis de construire ne portant que sur la seule extension de la maison principale, sans faire état de la destination finale de l’ensemble immobilier, et ayant pour seul but de se soustraire au règlement d’urbanisme n’autorisant que les extensions des constructions existantes , caractérise la fraude.
En second lieu , la cour d’appel , qui, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, a relevé l’existence d’un ouvrage nouveau, constitué de deux immeubles principaux et de constructions annexes reliées les unes aux autres pour créer une vaste exploitation commerciale, dénommée “Château X”, a pleinement caractérisé tant le caractère indissociable desdites constructions que l’infraction aux dispositions du plan d’occupation des sols ou du plan local d’urbanisme n’autorisant que l’extension des constructions existantes.
Il s’ensuit que le moyen ne peut qu’être écarté.

Pour écarter le grief tiré de ce que la démolition ordonnée porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au droit de mener une vie familiale normale au regard de l’impératif d’intérêt général , l’arrêt attaqué retient que M. X ne saurait invoquer le préjudice considérable que lui causerait la remise en état des lieux dans leur état antérieur au prétexte de l'ampleur de son investissement dans cet ensemble immobilier de prestige, dès lors qu'il a manifestement fait le choix d'enfreindre, pour parvenir à sa réalisation, la réglementation applicable et de s'affranchir des autorisations d'urbanisme nécessaires en la matière.
Les juges relèvent, notamment, que les constructions, qui excèdent la hauteur réglementaire, se situent en zone naturelle, pour partie dans un espace boisé classé et pour partie dans la zone rouge du plan de prévention des risques d’incendie de forêt et dans le périmètre du plan de prévention des risques de mouvements de terrain imposant certaines contraintes.
Ils ajoutent que M. X ne saurait davantage invoquer une atteinte disproportionnée à son droit propriété et à sa vie privée dans la mesure où la maison principale, dans sa configuration d'origine et la maison dite de famille, qui ne sera pas concernée par la mesure de restitution, lui permettent d'assurer son logement et celui de sa famille.
En se prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu sans insuffisance ni contradiction aux conclusions dont elle était saisie, a souverainement apprécié l'absence de disproportion manifeste entre l'atteinte à la vie privée et au droit de propriété invoqués par les prévenus et les impératifs d'intérêt général de la législation en matière d' urbanisme et a ainsi justifié décision.
Le moyen ne saurait être accueilli.

Pour ordonner la remise en état des lieux sous astreinte, les juges d'appel retiennent que les travaux sont irréguliers et ne peuvent être régularisés par les permis de 2006 et de 2008 qui, entachés de fraude, sont nuls et de nul effet et ne sont pas régularisables au regard du règlement d'urbanisme applicable.
En statuant ainsi et dès lors d’une part qu’ aucune annulation du permis de construire n’est intervenue pour excès de pouvoir , d’autre part qu'un permis obtenu frauduleusement est inexistant et exclut toute application de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des articles L. 421-1 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme.
Ainsi le moyen, inopérant, doit être écarté.

Vu les articles 593 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil :
Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
Le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
Pour rejeter la demande de remise en état formée par M.et Mme Y et Mme A au titre de l’action civile , l’arrêt relève qu’ il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande dès lors que la mesure a déjà été prononcée sur l’action publique.
En statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
En premier lieu aucune disposition du Code de l’urbanisme ne s’oppose à ce que la remise en état soit ordonnée cumulativement au titre de l’action publique et au titre de l’action civile.
En deuxième lieu , la demande de remise en état n’était pas sollicitée à titre de mesure à caractère réel destinée à faire cesser une situation illicite, mais à titre de réparation du préjudice subi par les parties civiles dans les motifs de leurs conclusions d’appel.
La cassation est encourue 
».
Cass. crim., 8 déc. 2020, n° 19-84.245, P+B+I *
 

  
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 14 janvier 2021
 
Source : Actualités du droit