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TRM : rien ne sert de livrer vite ; il faut vérifier l’envoi

Transport - Route, Informations professionnelles
06/07/2021
Résumé
- Commet une faute inexcusable le voiturier qui prend en charge un conteneur hors gabarit sans en avoir vérifié ni la hauteur réelle ni l’aptitude à passer sous un pont qui se trouve sur un trajet court qu’il a choisi, dans un périmètre qu’il connaît parfaitement, sans un impératif d’horaire.
- Commet une faute personnelle le commissionnaire de transport qui, averti de la taille spécifique du conteneur, ne prend pas toutes les mesures utiles pour en informer son substitué et ne lui demande pas d’en tenir compte.
- Une exception d’incompétence doit être soulevée in limine litis, avant toute défense au fond. Un appel en garantie étant une défense au fond, l’exception d’incompétence opposée pour la première fois lors des plaidoiries est irrecevable.
- L’assureur est subrogé conventionnellement dans les droits de son assuré par la remise – et non par l’encaissement – d’un chèque le jour de la signature de la quittance subrogative.
Faits et procédure
Le 12 janvier 2016, au terme d’une traversée maritime depuis Nouméa suivi d’un transport routier entre le terminal du commissionnaire de transport, situé à l’est de Brest, et l’établissement de son expéditeur sis à une dizaine de kilomètres, un conteneur de matériels scientifiques hors gabarit heurte le tablier d’un pont. Les dimensions du conteneur, mentionnées sur le connaissement transmis au commissionnaire par l’expéditeur lors de  la commande de transport par  n’ont pas été répercutées au voiturier. Ce dernier a pu cependant s’en rendre compte au moment  de l’enlèvement du conteneur, lequel a nécessité une manutention spéciale. L’expéditeur reçoit de son assureur un chèque ; celui-ci est muni d’une quittance subrogatoire. Ensemble, le 11 juillet 2017, ils assignent le commissionnaire de transport et le voiturier ainsi que leurs assureurs. Le 19 juillet suivant, le commissionnaire appelle son substitué en garantie.

Les défendeurs succombent : l’exception d’incompétence soulevée est écartée ; l’assureur de l’expéditeur est régulièrement subrogé dans les droits de son assuré en raison de la remise d’un chèque et de la signature concomitante de la quittance subrogative, le commissionnaire et le voiturier partagent leur responsabilité dans la survenance du sinistre. L’organisateur forme un recours ; la cour confirme le jugement déféré.

Observations
▶ Le commissionnaire de transport est assigné au fond devant le tribunal de commerce de Brest par l’expéditeur et ses assureurs. Dans le mois qui court, il appelle en garantie son substitué et se réserve le droit, dans son assignation de soulever notamment une exception d’incompétence dans la procédure introduite par la citation principale. La cour, à l’instar du premier juge, considère que cette « réservation » ne vaut pas exception de procédure et que l’incompétence excipée au profit du tribunal de commerce de Paris lors des plaidoiries est tardive car elle est intervenue après l’appel en garantie, qui est une défense au fond. Comment alors procéder, le commissionnaire disposant d’un délai bref d’un mois à compter de l’assignation principale pour appeler en garantie son substitué, temps durant lequel l’affaire principale est en voie d’être mise en état devant le juge brestois ? Il peut être tentant d’appeler le transporteur en garantie directement devant le tribunal de commerce de Paris, que le contrat type commission choisit comme le juge naturel du commissionnaire, et soulever l’incompétence territoriale du juge brestois in limine litis et de demander à renvoyer l’affaire principale à Paris. Une autre solution pourrait consister à conclure sur l’incompétence et de la signifier en même temps que l’assignation en garantie ou d’inclure les écritures au début de l’assignation en garantie devant le juge brestois.

▶ Par ailleurs, l’arrêt rappelle opportunément que le commissionnaire de transport se doit d’organiser le transport qui lui est confié conformément aux informations, demandes et instructions du donneur d’ordre. Ainsi, est-il tenu de vérifier les documents fournis par le donneur d’ordre qui ont un lien direct avec l’organisation du transport. Il doit, en outre, s’assurer de la conformité apparente des autres documents remis avec la mission qui lui est confiée (contrat type commission, art. 3.2). Or, les dimensions du conteneur litigieux étaient renseignées sur le connaissement du transport maritime, précédant son intervention mais que l’expéditeur lui a transmis, en vue du transport routier confié au commissionnaire. En ayant fait fi de cette information, ô combien importante, le commissionnaire a failli. En tout état de cause, l’arrêt relève que le commissionnaire a pu également lui-même se rendre compte de cette spécificité, constatée par les manutentionnaires qui devaient charger le conteneur sur la remorque.

▶ Le transporteur n’a pas été informé par le commissionnaire de la spécificité du conteneur (faute manifeste du commissionnaire) mais il ressort de l’arrêt, bien motivé, qu’il s’en est également aperçu lors de son enlèvement. Dès lors, en ayant accepté, par ailleurs sans réserve précise et motivée, de le prendre en charge sans s’assurer de sa taille réelle et de sa compatibilité avec le trajet choisi (l’avait-il déjà choisi ?) pour assurer une livraison dans les meilleurs délais – pourtant demandée sans impératif de délai – le conducteur a
commis une faute inexcusable. Même si un délai de livraison avait été demandé, la solution aurait probablement été la même car, selon l’arrêt, il existait d’autres trajets envisageables en évitant le pont.

Extraits
Sur les circonstances du sinistre et les responsabilités :
[…] En l’espèce, la commande passée par le GIE Genavir à la société UAT comportait les mesures des conteneurs et notamment celui du conteneur litigieux mais ne permettait pas de comprendre immédiatement l’importance du hors gabarit.
Toutefois, étaient joints des documents en lien direct avec l’organisation du transport, ou à tout le moins dont la conformité apparente avec la mission devait être vérifiée ; à cet égard, le connaissement de transport maritime précisait que le hors gabarit était de 1,06 mètre en hauteur.
Par ailleurs, si même cette mention avait échappé à la vigilance de la société UAT lors de la passation de la commande, elle a immédiatement été détectée par les manutentionnaires chargés de poser le conteneur sur la remorque, dans la mesure où un autre mode de chargement, faisant appel à des instruments de levage spécifiques, a dû être mis en œuvre compte tenu des dimensions inhabituelles du conteneur.
Il appartenait dès lors à la société UAT, qui organisait le transport, de prendre toutes mesures utiles pour en informer la société Transports Mayol et lui demander d’en tenir compte. Si l’une des salariées de la société UAT affirme que tel fut le cas, il ne subsiste aucune trace écrite de cet avertissement, comme le souligne le chauffeur dans son attestation – au demeurant confirmée par l’examen des documents versés aux débats.
La société UAT a donc commis une faute personnelle en ne prenant pas connaissance des documents lui ayant été fournis par le GIE Genavir et ne prenant pas toutes mesures utiles dans l’organisation du transport une fois avertie de fait de l’importance du dépassement de gabarit.
(...) S’agissant de la société Transports Mayol, sa faute est incontestable bien qu’il soit acquis que le contrat de transport ne comportait pas de mention l’avertissant du caractère spécifique du conteneur. En effet, son chauffeur a reconnu avoir été avisé d’un dépassement de gabarit suffisamment important pour justifier la mise en œuvre d’instruments de levage spécifiques pour charger le conteneur sur sa remorque ; néanmoins, il n’a pas pris la peine de mesurer le gabarit de l’ensemble, ceci alors même qu’il est établi que le dépassement en hauteur était de 1,06 m par rapport à un conteneur standard, donc de grande dimension et visible à l’œil nu. Sur ce point, il ne peut être sérieusement soutenu que seule une dizaine de centimètres séparait la hauteur de l’ensemble de la hauteur sous le pont, alors que l’expert a très précisément expliqué comment les différents ressauts des ensembles routiers exigent de laisser un minimum de trente centimètres entre la hauteur d’un pont et la hauteur de l’ensemble routier.
Ensuite, alors qu’un trajet sans passage sous un pont était possible, le chauffeur ne l’a pas choisi, sachant que le faible kilométrage du trajet permettait sans difficulté de ne pas tenter de choisir le plus court, aucun horaire ou calendrier n’ayant été imposé et le trajet hors pont ne prenant qu’un kilomètre de plus selon l’expert Le Saux.
Le choix de ce trajet, dans un périmètre parfaitement connu du chauffeur puisque la société Transports Mayol est elle-même basée sur Ploudaniel, sans aucun impératif horaire, avec une remorque que le chauffeur savait chargée d’un conteneur anormalement haut sans qu’il ait pris le soin d’en vérifier la hauteur réelle et sa compatibilité avec le passage sous le pont, apparait la faute délibérée d’un chauffeur ayant conscience de la probabilité du dommage, ayant témérairement accepté le risque pris sans raison valable.


(CA Rennes, 8 juin 2021, n° 18/07007, UAT-Raillard c/ Helvetia et a., aimablement communiqué par Me Guerin).

Par Nanahira Razafimaharavo
Source : Actualités du droit